
La semaine dernière, j’ai invité mon amoureux à aller voir au Nouveau Monde le tout premier seule-en-scène de la comédienne, improvisatrice, humoriste, autrice et chroniqueuse radio (rien que ça!) Donatienne Amann. Dans En slip, elle parle notamment de la manière dont elle tente d’apprivoiser ses angoisses, des super-pouvoirs que l’on peut cultiver, des douleurs psychiques et physiques liées aux règles, ainsi que de l’originalité discutable dont font preuve certain·e·s nouvelleaux parents quand il s’agit de nommer leur progéniture. Comme tous ces sujets m’intéressent, je lui ai proposé qu’on discute un peu avant la représentation. Bonne lecture!
Manon Céleste: C’est une question un peu complexe pour commencer… Comment ça va, là, maintenant ?
Donatienne : Là, tout de suite ? Je suis méga stressée, pour être honnête. Mon spectacle parle du stress, justement, donc ça fait écho. J’ai beaucoup appris à le gérer en écrivant ce seule-en-scène. Sauf qu’en ce moment, je suis vraiment fatiguée, entre le travail qui s’enchaîne, l’achat d’une voiture, les tournages, la tournée… C’est un rythme intense depuis le mois d’août, mais tout me réjouit. Ayant déjà fait un burn-out, je sais que mon état actuel est bien différent. Heureusement, quelques jours de congés s’annoncent. Novembre-décembre seront plus calmes. C’est la vie d’artiste !
Manon Céleste : Ça me fait penser à ton court-métrage Jusqu’au bout, où tu dépeins justement les aspects moins drôles de la vie d’artiste, notamment les réponses négatives qui s’enchainent suite à des castings ou encore des mandats trop souvent non-payés. Tu sembles être dans une période différente maintenant, non ?
Donatienne : Oui, c’est marrant que tu l’évoques ! Ce court-métrage a été sélectionné par le VIFFF où il va être diffusé. Je le regarde avec beaucoup de tendresse aujourd’hui. C’était un moment où je galérais, avec effectivement des refus de castings… Maintenant, ma vie a changé. Cela ne veut pas dire que je ne vis plus du tout de moments comme ceux-là. J’ai semé des graines à l’époque, là elles fleurissent. Et un jour elles faneront, et il faudra recommencer.
Manon Céleste : Il y a un côté « marathon » dans la vie d’artiste, n’est-ce pas ?
Donatienne : Oui, c’est épuisant, parfois. On se dit qu’on va prendre quelques jours de congé, mais dès qu’une opportunité stimulante se présente, c’est difficile de dire non.
Manon Céleste : Tu as mentionné avoir fait un burn-out. Est-ce que c’est ok pour toi d’en parler un peu?
Donatienne : Oui, c’est arrivé juste après la fin de mes études à la Manufacture, en 2018. La formation avait été tellement intense que je me suis retrouvée épuisée. En tant que comédien·ne, on doit utiliser nos émotions, notre voix, notre corps, nos souvenirs comme outils de travail… C’est génial, mais à 20 ans, cela m’a fait l’effet d’un bulldozer. Il faut apprendre à mettre des barrières pour se protéger, ce que j’ai dû comprendre et apprendre par moi-même.

Manon Céleste : Tu es en tournée avec En Slip depuis quelques mois. Comment se passe cette expérience pour toi ?
Donatienne : Plutôt bien, même si c’est encore le début donc je prends mes marques. En Slip a été créé en février-mars de cette année et j’ai fait une reprise en juin. J’ai pris le temps d’apporter quelques modifications au spectacle depuis, donc je me replonge dans cette création avec un peu de nouveauté. Je suis désormais accompagnée de Charlie (le régisseur) qui est formidable, ce qui me fait du bien. A la base, je voulais tout faire toute seule, étant donné que le spectacle est léger techniquement. Mais c’est tellement plus agréable d’être deux ! Aussi, j’ai eu de bons retours du public, et ça fait vraiment plaisir de voir que les gens suivent. Au-delà des femmes trentenaires qui peuvent facilement s’identifier à ce que je décris et saisir les références que j’ai choisies, j’ai été très touchée par le retour enthousiaste d’un couple d’octogénaires à la suite de l’une de mes représentations.
Manon Céleste : Dans ton spectacle, tu parles beaucoup de vulnérabilité, de dépassement de soi et d’angoisse. Comment trouves-tu le courage de te mettre à nu, en slip (rires) ainsi, surtout qu’il s’agit de ton premier seule-en-scène ?
Donatienne : J’ai grandi dans une famille d’artistes, donc être sur scène a toujours été naturel. Enfants, on refaisait les numéros de cirque avec mon frère, on créait des petits spectacles avec le chien, le chat. A Noël, on se déguisait et on se produisait pour la famille. Une grande partie de ma famille a fait de la musique, ce qui m’a dissuadée d’en faire, car j’avais peur de la comparaison et d’être nulle. Je me suis donc tournée vers le théâtre. Mais malgré ça, j’ai été une enfant timide et très introvertie. J’avais toujours peur de ce que l’on pensait de moi et d’être jugée. La scène m’a permis d’exprimer des choses que je n’osais pas forcément montrer dans la vie quotidienne.
Manon Céleste : C’est assez paradoxal de choisir la scène quand on est timide…
Donatienne : Oui, et pourtant, c’est assez courant chez les comédien·ne·s et les humoristes. C’est comme si la scène nous permettait d’explorer des facettes de nous-mêmes qu’on ne montre pas dans la vraie vie. Je me suis lancée dans le théâtre, puis l’impro, où je me suis rendu compte que j’étais capable d’être drôle, ce que je n’aurais jamais imaginé auparavant. Cela vient aussi du fait que j’avais peu d’exemples de femmes drôles sur scène, et, à force d’être entourée quasiment exclusivement par des mecs dans l’impro, je me suis dit que j’avais besoin de me lancer. Un jour, Couleur 3 m’a proposé de faire du stand-up. Et, malgré ma trouille, j’ai accepté d’essayer. Très vite, même si l’écriture d’un dix minutes me stressait déjà pas mal, je sentais le besoin de le développer sur une heure.
Manon Céleste : Tu sembles avoir un très haut niveau d’exigence envers toi-même.
Donatienne : Oui, en effet ! J’ai toujours eu un haut niveau d’exigence, et je travaille encore là-dessus. Mais aujourd’hui, je m’autorise à me calmer un peu et à être plus indulgente. La scène m’aide aussi à accepter et à affronter mes propres paradoxes.

Manon Céleste : Comment réussis-tu à trouver un équilibre entre l’humour et le côté plus sérieux de certains sujets que tu abordes sur scène comme l’anxiété, ou encore la douleur psychique et physique induite par les règles ?
Donatienne : J’essaie toujours de faire en sorte que l’humour serve mon propos et que mon propos serve également l’humour, plutôt que d’être là juste pour faire des blagues « gratuites ». L’anxiété, par exemple, est un sujet universel et, en en parlant, je me suis rendu compte que c’était hilarant à quel point mon esprit part parfois dans tous les sens! Ce décalage me permet d’aborder des sujets sérieux de manière plus légère et de les dédramatiser aussi un peu.
Manon Céleste : Est-ce que tu te considères féministe ? Et si oui, comment cela influence-t-il ton écriture ?
Donatienne : Oui, je me considère féministe, même si ce mot englobe beaucoup d’aspects et de courants différents. Plus mon spectacle avance, plus je me rends compte qu’il est très féministe. Je parle de mes règles sur scène, ce qui est encore assez rare, mais c’est important pour moi de pouvoir aborder tous ces sujets librement.
Manon Céleste : Est-ce que tu penses qu’en tant que femme, tu as l’impression de devoir mettre davantage à profit ton temps sur scène (qui est plus difficile à obtenir que pour un homme), notamment en abordant des sujets qui sont sérieux et pas uniquement drôles?
Donatienne : Il peut y avoir quelque chose de ce genre. On nous a longtemps moins stimulées dans le domaine de l’humour, donc, quand on est la seule femme sur scène, on a souvent envie de marquer les esprits. Mais ça s’améliore, on voit de plus en plus de femmes en comédie aujourd’hui, et ça fait du bien !
Manon Céleste : Comment ça s’est passé de proposer votre websérie Hockey Meuf avec Laura Chaignat à la direction de la RTS ?
Donatienne : On a présenté le projet de façon assez informelle, et il a été accepté sans trop de discussions. On a eu un bon timing, même si on a ensuite rencontré des défis en production. Finalement, ce projet a tout de même permis de mettre en lumière des sujets importants et de créer des échanges autour du féminisme.
Manon Céleste : Tu as un parcours très riche et varié. Est-ce que tu as encore l’impression d’être constamment en « postulation », comme tu le mentionnes dans Jusqu’au bout?
Donatienne : Oui, ce métier demande toujours de se mettre en avant, mais j’ai appris à l’accepter. Ce qui m’a aidé, c’est de réaliser que derrière chaque fonction (notamment les programmateur·trice·s), il y a des humain·e·s. Maintenant, je vais vers les autres sans cette anxiété qui peut fausser les relations. Ça rend le processus plus naturel et moins stressant.

Manon Céleste : Qu’est-ce que tu aimerais encore accomplir à l’avenir ?
Donatienne : J’ai plein de rêves ! J’aimerais écrire un vaudeville sur les relations polyamoureuses, afin d’explorer la complexité de l’amour et des liens. J’ai aussi envie de travailler sur des projets liés au football et à cette passion que les supporters partagent parfois pour leur club. Et côté cinéma, j’adorerais jouer dans un film d’époque, une comédie romantique, ou même de la fantasy… les univers riches et époustouflants me fascinent !
Manon Céleste : Tu en parles dans ton spectacle – quel super-pouvoir aimerais-tu avoir ?
Donatienne : Comme justement j’en parle dans le spectacle, je ne veux pas trop en dévoiler (rires) ! Mais pouvoir parler toutes les langues du monde serait génial. Comprendre et communiquer avec tout le monde, y compris les animaux, ça, ce serait un super-pouvoir incroyable !
Manon Céleste : Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour la suite ?
Donatienne : Que la voiture que je suis en train d’acheter est une bonne voiture (rires) ! Plus sérieusement, que le spectacle continue de bien marcher et que je garde toujours l’inspiration et l’envie de créer.
Après ces très chouettes échanges, je peux dire que je me suis délectée du spectacle de Donatienne. J’ai beaucoup ri, j’ai très souvent acquiescé, j’ai été émue et portée par l’énergie des propos. Je me suis même sentie comprise dans mes angoisses et prête à les tourner moi aussi un peu plus souvent en dérision. Juste pour que ça soit un peu moins lourd. Que ça fait du bien! J’ai également trouvé certains passages éducatifs concernant l’anatomie féminine, ce qui n’est pas pour me déplaire, sachant le travail qu’il nous reste encore dans ce domaine! Je vous recommande chaudement d’aller chasser votre super-pouvoir avec Donatienne, qui sait résolument se mettre En Slip de façon magistrale et profondément sincère. Il reste encore trois dates en 2024. Toutes les infos sur son site. Un immense merci à toi Donatienne. Tout de bon pour la suite et au plaisir de découvrir tes futurs projets!