
J’ai compté! C’est bien la cinquième fois que Blaise accepte de discuter avec moi. A l’occasion de son passage en terres fribourgeoises en novembre dernier, j’ai donc eu la grande joie de lui poser des questions que je me pose aussi, à savoir: Est-ce que son métier est une vocation? Est-ce qu’il préfère les animaux aux humain·e·s? Est-ce qu’il se considère féministe? Il a comme à son habitude répondu avec humour certes, mais aussi et surtout avec beaucoup de franchise et de douceur. Bonne lecture!
Manon: On va commencer par une question un peu technique, histoire de se mettre dans le bain. Comment ça va?
Blaise: Ouh là! Oui, ça va bien. Je suis fatigué, mais ça va. Je crois que ça fait partie du métier. J’ai eu un automne d’enfer, donc je me suis agendé des moments où ne plus être fatigué. On peut trouver ça triste de devoir prévoir en avance les moments de repos, mais moi ça me va bien.
Manon: Est-ce que tu es content d’être à Fribourg? C’est le meilleur public de Suisse romande, non?
Blaise: Oui, je suis content d’être là. J’ai même pu profiter d’un moment de détente cet après-midi. J’étais au Urban Spa.
Manon: La chance! J’adore cet endroit!
Blaise: C’est super. Je ne connaissais pas mais c’est bien – même si tout seul, c’est un peu bizarre. Il y avait un groupe de trois copines dans le jacuzzi, c’est étrange si un mec tout seul y va en même temps. Au bout d’un moment, elles sont parties et j’ai pu y aller, mais c’était long. Ensuite, il y a deux autres personnes qui sont venues après moi. Dans ce cas-là, ça va, car ce sont elles qui sont venues dans “ma” sphère.
Manon: Tu tournes ton spectacle improvisé Pain Surprise depuis début octobre 2022. Au moment où nous discutons, tu as déjà fait deux dates à Cossonay et une à Fribourg. Comment ça se passe jusque-là?
Blaise: C’est super! Il y a deux dates sur trois dont je suis très content pour l’instant.
Manon: Est-ce que tu veux bien me dire lesquelles et pourquoi?
Blaise: Celle d’hier soir (le 11 novembre 2022) et la première à Cossonay (le 6 octobre 2022). La deuxième était un peu moins bien, mais c’est les aléas de l’impro, ma foi. En fait, là où je me suis fait avoir c’est que, lors de la première, les gens donnaient énormément de retours positifs! Du coup, moi ça m’a chauffé et j’étais au taquet. Le deuxième soir, ça a démarré un peu moins bien et l’effort était double, donc c’était fatiguant. J’ai fini par jouer plus longtemps que prévu parce qu’intérieurement, je voulais que ça se passe aussi bien que la veille. Finalement, j’ai joué presque 1 h 30 alors que ce n’était pas du tout le but. J’ai eu un débriefing avec un collègue improvisateur, Yvan Richardet, à qui j’ai demandé deux ou trois retours. On était assez d’accord sur le fait qu’il y a toujours un creux vers 50 minutes, et qu’il faut gérer ce moment. C’est vrai que si ma façon de le gérer, c’est de rejouer 40 minutes, ce n’est pas forcément bien. Hier j’ai bien géré ça, j’étais content.
Manon: Ce n’est pas un peu crevant de tenir une scène tout seul pendant une heure, voire plus? Et sans avoir de script?
Blaise: Oui, c’est fatiguant. Je pense que ça dépend aussi d’une représentation à l’autre. Hier, ça allait. Mais lors de la deuxième à Cossonay, c’était extrêmement fatiguant. Je dirais qu’il faut être prêt à ces différences. Et c’est mieux de ne pas avoir encore quatre heures de voiture après le spectacle.
Manon: C’est là que les plages de repos prévues dans l’agenda prennent tout leur sens, je pense! Hier soir, à un moment donné, tu as dit “C’est la soirée peau de banane”. Tu faisais référence aux mots proposés par le public, que tu tires ensuite au sort au fur et à mesure du spectacle. Est-ce que tu as peur de ce que tu peux dire en impro?
Blaise: Non, parce que j’ai l’impression que je sais faire attention. Et si je me plante, je ne trouverais pas vraiment ok qu’on me le reproche, vu le cadre spécifique. Hier, j’ai quand même pioché “éco-faschisme”, “misogyne” et “burkini”. Ce sont certes des thèmes un peu chauds, mais ça montre aussi à quoi les gens pensent en ce moment et de quoi ils ont envie de rire. J’ai trouvé ça plus intéressant que dangereux. Mais évidemment que j’ai dit des trucs affreux hier – sans les penser, bien entendu.
Manon: En ce moment, tu fais un peu 12’000 trucs en parallèle. Il y a ton émission de télé Ça joue, tes chroniques radio et le spectacle Les gens meurent (désormais terminé). J’oubliais, tu joues aussi dans BRUT! Est-ce pour toutes ces raisons que tu ne joues pas dans la revue cette année et que tu es “seulement” à l’écriture?
Blaise: Oui, en effet! J’ai fait la revue trois ans d’affilée et j’ai vraiment eu beaucoup de plaisir. Mais cela a aussi été une période pendant laquelle plus de la moitié de mon année était consacrée uniquement à ça. Je la refais l’année prochaine (2023), mais pour la suite, je n’ai pas encore décidé. Tous les mois où je travaille pour la revue, je me dis “Ah! Il y a tout ça que je ne peux pas faire!”. C’est mon cerveau qui est problématique. Parce que là, tu viens de lister tous les projets sur lesquels je travaille en ce moment, mais je n’y pense pas. Je pense surtout à tous les projets sur lesquels je ne travaille pas.
Manon: Tu aimerais faire quoi précisément?
Blaise: C’est les trucs dont je parle tout le temps. Créer une série, écrire une comédie musicale, écrire un film et enregistrer un album de chansons de Noël parce que ça me fait rire.
Manon: Est-ce que ça te manque la revue ou est-ce que tu en as eu un petit peu marre de faire ça trois années de suite?
Blaise: Non, “marre” c’est un grand mot. Au départ, je m’étais lancé dedans sans trop savoir ce que ça allait être et le fait d’arrêter, ça m’a aussi réjoui car j’ai pu avoir de l’espace pour de nouvelles choses. C’est déjà sûr que je reprends l’écriture et la mise en scène pour la prochaine édition, ça j’ai très envie de le faire. Je ne sais pas encore si je jouerai. Je suis encore en train de voir parce que ça me stimule de me consacrer totalement à la mise en scène.
Manon:Tu ne crois pas que ça va être frustrant justement pour toi de ne pas jouer?
Blaise: Alors ça, c’est ce que ma production dit pour me convaincre de jouer. Je pense que je vais jouer. (Depuis notre conversation, Blaise a officialisé sa participation à la prochaine Revue de Lausanne en tant que comédien !)
Manon: Je ne sais pas si tu te souviens, mais en octobre 2019, sur la terrasse de l’Atelier, lorsqu’on parlait de la deuxième édition de la Revue qui allait se jouer non plus à Boulimie mais au Centre Culturel des Terreaux, je t’avais demandé pourquoi ne pas avoir directement commencé par les Terreaux. Et tu m’avais dit un truc du style “Il fallait d’abord que je pèse un peu dans le game”. Tu en es où aujourd’hui? Est-ce que selon toi, tu “pèses dans le game” désormais?
Blaise: Je pense un peu plus qu’avant, ça c’est sûr. C’est surtout grâce à la revue, en fait. En 2019, je parlais en “je”. Mais là, la revue se fait sans moi depuis deux ans et tout va bien. On en discutait justement avec Flavien (Droux, Directeur artistique du Nouveau Monde), on se disait que l’année passée, j’ai fait complet un soir. Cette année, je fais complet deux soirs. Peut-être que l’année prochaine, ça sera trois fois. C’est peut être ça la jauge, en fait. Il faut que je vienne chaque année jouer au Nouveau Monde, comme ça, je sais où j’en suis.
Manon: Est-ce que tu considères ce que tu fais aujourd’hui comme une vocation? Est-ce que tu pourrais faire ça toute ta vie?
Blaise: Oui, je pense qu’on peut parler de vocation. Je pense que je suis vraiment dans le tir, surtout avec Pain Surprise. Quelqu’un m’a dit après être venu voir mon spectacle: “On dirait que tu es seul dans ta chambre et que tu joues pendant une heure”. Et en fait, c’est complètement ça. En tant que fils unique, j’ai toujours joué tout seul dans ma chambre et du coup, je me demande si le fait de le faire devant des gens qui applaudissent et qui payent pour voir ça n’est pas comme une forme de revanche sur l’enfance, où je faisais mes petites histoires tout seul, sur ma petite moquette grise.
Manon: Et durant cette heure de jeu, tu n’arrêtes pas. Tu cours d’un coin à l’autre de la scène, tu passes par le clavier, le chant, le rap. Tu sembles totalement dans ton élément à jongler ainsi!

Blaise: J’adore me mettre dans ce mode où mon cerveau va plus vite que moi, qu’il y a des accidents et qu’après, on utilise les accidents. Se surprendre soi-même, c’est un état vraiment particulier. Je n’ai jamais vraiment compris comment on se met dans cet état, mais quand ça arrive, c’est vraiment super. Donc oui, l’impro est une vocation pour moi. Après, est-ce que je vais faire cela toute ma vie? Non, je ne pense pas. Par contre, tant que j’en ai l’énergie, oui. Aujourd’hui, j’ai 31 ans. Peut-être que dans neuf ans, je ne serai plus capable d’avoir ce rythme-là. Je n’ai pas envie d’arriver à 40 ans en me disant “Quand même, j’aurais dû faire ça quand j’en avais 30”. Je préfère faire un max de choses tant que je le peux, en aménageant des moments de repos.
Manon: C’est l’heure des questions plus politiques. Est-ce que tu te considères féministe?
Blaise: Oui. En réalité, j’ai un peu peur du mot parce que j’ai l’impression qu’il ne m’appartient pas. C’est comme le racisme ou d’autres thèmes du même genre. Je n’ai pas envie d’en parler parce que je ne veux pas qu’on pense que je m’approprie des luttes. Dans mes spectacles, je ne veux pas que cela soit un sujet. Je pense qu’il est plus constructif de l’incarner que de le thématiser.
Manon: Dans ta chronique Couleur 3 du 20 juin 2022, tu parles de ton anxiété face à la crise climatique. Même s’il y avait des passages très drôles, j’ai quand même pleuré en l’écoutant car j’ai trouvé que tu mettais très clairement en lumière l’absurdité de nos comportements face à l’urgence climatique. Aussi, je voulais savoir: comment est-ce que tu gères ton éco-anxiété?
Blaise: Franchement, c’est chiant. Je trouve que ce n’est pas gérable. Parfois, j’ai la prétention de croire que jamais personne n’a ressenti ça, cette souffrance. Mais bien entendu que oui. Nous sommes littéralement en train de détruire le monde dans lequel on vit et il y en a quand même pas mal qui s’en foutent complètement. Ça me rend fou. Et, concrètement, ce que je fais comme métier, ça sert quand même un peu à rien.
Manon: Ça pollue très peu ce que tu fais, finalement.
Blaise: Oui, mais ça pollue plus que si je ne le faisais pas. Je fais des spectacles alors que je pourrais être sur un bateau en train de ramasser des déchets dans l’océan, par exemple. Mais je fais des spectacles d’humour parce que pour mon égo, c’est quand même plus agréable de se faire applaudir. C’est ingérable l’éco-anxiété. Il faut respirer, boire du thé, regarder un bon Marvel de merde en se disant “Ok, alors eux, ils ont encore moins bien compris que moi”.
Manon: Tu m’as déjà dit une ou deux fois – et je suis d’accord avec toi – que les humain·e·s prennent passablement d’énergie dans la vie en général. Est-ce que tu préfères la compagnie de tes chats?
Blaise: Oui. Mais sans être dans les extrêmes du type “Plus je connais les humain·e·s, plus je préfère les bêtes.”. Il y a des moments où je suis content qu’il n’y ait pas d’humain·e·s. Et il pourrait aussi ne pas y avoir de bêtes non plus, ça ne serait pas grave.
Manon: Ton amoureuse et toi prenez quand même vos chats partout avec vous, non?
Blaise: T’as le biais des réseaux sociaux! Parce que dès qu’ils font une connerie, je filme et je post. On ne prend que Q avec nous car Frafr est très indépendante. On ne peut pas la prendre parce qu’elle refuse le contact. C’est une autre source d’anxiété pour moi parce que, c’est mon chat – c’est moi qui la nourrit et c’est moi qui l’ai adoptée -, mais concrètement, elle ne vit pas chez nous. Elle n’est jamais à l’intérieur et elle déteste l’autre chat, c’est un enfer. Parfois, on ne la voit pas pendant plusieurs jours. Et donc, je m’inquiète. Mais pour rien. Elle fait sa vie.
Manon: Quelle est l’origine de son nom?
Blaise: Son nom entier, c’est Madame Frafron du Jabron. Je crois que ça n’a aucun sens. Le Jabron, c’est un cours d’eau. Le mot nous faisait rire. Et Madame, ça nous a aussi toujours fait rire pour un animal.
Manon: Qu’est ce qu’on peut te souhaiter pour la suite?
Blaise: D’avoir le temps de faire tout ce que je veux.

Planifier du temps pour se reposer, ne pas hésiter à s’investir fort dans ce qui nous tient à coeur et nous rend heureux·se·s, incarner ses positions. Le tout avec humour et humilité, bien entendu! Je ne sais pas pour vous, mais je trouve que ce sont de nobles intentions, que je compte bien tenter d’appliquer. Au fur et à mesure des années et des discussions, Blaise m’inspire toujours beaucoup – en plus de me faire vraiment rire. Je ne peux que chaudement vous recommander d’aller voir son spectacle Pain Surprise – entièrement improvisé en fonction des mots proposés par le public! – qu’il jouera au Théâtre Boulimie les 23 février, 30 mars, 27 avril, 11 mai et 8 juin prochains. Merci Blaise de toujours prendre aussi joyeusement le temps de bavarder avec moi, de nous faire prendre du recul et donc de l’élan avec humour. Que le temps s’assouplisse pour que tu aies l’énergie de continuer sur ta lancée!