Conversation avec Sylvie Bonvin-Sansonnens: quand la passion sert de boussole

La Conseillère d’Etat Sylvie Bonvin-Sansonnens posant dans son bureau-

Parfois, une personne me marque. Son parcours, l’énergie qu’elle dégage, ses idées, le choix de ses mots pour entrer en contact. Tout ça déclenche chez moi une joie toute particulière. Et dans ces cas-là, j’ai à coeur de tenter une rencontre. C’est pour cette raison qu’en juin dernier, j’ai enfourché ma messagerie LinkedIn pour un premier contact. Et qu’en juillet, j’ai eu la chance de passer un peu de temps avec la Conseillère d’État verte Sylvie Bonvin-Sansonnens. Cette dernière m’a chaleureusement accueillie dans son bureau le temps d’une conversation ouverte, honnête et remplie d’humilité.


Manon : La première question concerne votre riche parcours, qui me parle beaucoup. Comment le décririez-vous en quelques mots ?

Sylvie : Pendant la campagne pour le Conseil d’État, un journaliste m’a demandé de citer une anecdote de ma vie. Je lui ai répondu que toute ma vie était en fait une anecdote, ou plutôt une suite d’anecdotes. Cela a été une suite de choix, m’entrainant tout à coup à dire oui à telle ou telle opportunité. J’ai régulièrement besoin de me confronter à la nouveauté, j’ai facilement de nouvelles idées. Par exemple, dans la direction que j’ai aujourd’hui (la DFAC – Direction de la formation et des affaires culturelles), quand je discute avec les archéologues, je me dis « Pourquoi ne suis-je pas devenue archéologue ? C’est tellement fantastique ! ». Et quand je discute avec des comédiens, je me dis « J’aurais dû faire du théâtre, c’est tellement incroyable ! » Je suis une personne passionnée, je réponds donc aux gens passionnés.

Tout a donc été une suite de hasards. Par exemple, l’entrée en politique n’était pas du tout préparée. Cela a aussi été un hasard, une opportunité qui s’est présentée et que j’ai choisi de saisir. Un collègue paysan du village voisin m’a demandé d’être sur sa liste pour le Grand Conseil. Il s’agissait de Louis Duc, un paysan très connu dans le canton de Fribourg. Quand il est décédé, j’ai repris sa place, mais je ne l’ai pas fait pour être députée au Grand Conseil. Je l’ai fait avant tout pour le soutenir. Et puis, ça s’est fait, c’est incroyable. Tout est incroyable.

Manon : On peut donc dire que c’est la passion qui vous anime ?

Sylvie : Oui. Le positif, en fait. J’essaie toujours de voir du positif dans tout. Et puis aussi, l’envie d’apprendre. J’aime apprendre, j’aime rencontrer de nouvelles personnes. Une campagne électorale est une excellente occasion pour ça. J’ai adoré ça parce qu’on rencontre des tas de gens de différents horizons. J’ai aussi un parti qui me soutient et me porte à cette place. Je les représente aujourd’hui, tous les membres du parti des Vert·e·s, qui est un parti neuf et en plein développement. C’est encourageant et c’est aussi un moteur. Je ne suis pas toute seule dans cette aventure. Mon mari m’a également beaucoup aidée, en me permettant notamment de faire ma formation agricole alors que j’avais déjà deux petites filles. Je suis vraiment reconnaissante envers toutes les personnes qui m’ont permis d’arriver là. C’est un vrai travail d’équipe, à tous les niveaux.

Manon : A ce propos, qu’est-ce qui vous donne l’envie, l’impulsion en 2002 de quitter le domaine du journalisme dans lequel vous avez travaillé pendant près d’une décennie ? Qu’est-ce qui vous porte justement à suivre cette formation complète dans l’agriculture ?

Sylvie : Il y a eu là aussi toute une suite d’événements. Avec celui qui allait alors devenir mon mari, nous avons d’abord été bergers d’alpage. Cette vie nous a vraiment plu. Son père avait un garage de machines agricoles et son grand-père était agriculteur-viticulteur. Cela a toujours été quelque chose de commun entre nous. Le bétail, la nature, l’agriculture, le monde paysan en général. Il est dialectologue, spécialiste des patois – également quelque chose d’ancré dans notre région, notre terroir.

Quand nous avons racheté la ferme de mon grand-père à mes parents, la question s’est posée de savoir lequel de nous deux ferait la formation. À l’époque, il n’était pas obligatoire de la faire, mais c’est un métier, et nous avions à cœur d’apprendre pour le faire bien. Même si nous avions de la pratique, nous voulions faire la formation pour être reconnus parmi les pairs agriculteurs. Mon mari avait déjà un travail et moi, je m’occupais de nos filles. J’avais en parallèle une activité de secrétaire syndicale au syndicat UNITERRE, mais entre les deux, c’est moi qui avais le plus de temps pour entreprendre la formation.

Je crois que le fait de devenir agricultrice a toujours été en moi. Les circonstances d’alors ont fait que c’est moi qui ai fait la formation. Et aujourd’hui, les circonstances font que mon mari a arrêté son travail pour faire la formation et reprendre l’exploitation (il a fait une formation plus rapide). On est interchangeables, c’est magnifique.

Manon : Vous avez été la première femme maître-agricultrice du canton de Fribourg, et vous êtes aujourd’hui Conseillère d’État. Malgré quelques humbles avancées, il s’agit encore de domaines à majorité masculine. Est-ce que cela vous pose problème au quotidien ? 

Sylvie : Dans l’ensemble, je dirais que cela ne me pose pas de problème au quotidien. Au début, quand j’ai repris l’exploitation agricole, on avait droit à des terres communales. Lorsque j’ai relancé l’exploitation à mon nom, il y a eu une nouvelle répartition de ces terres. Je me suis donc rendue à la séance où tous les agriculteurs étaient invités pour se les partager. On m’a répondu que je n’y avais pas droit parce que j’étais une femme et que mon mari travaillait à l’extérieur de la commune. Je l’avais assez mal pris, étant donné que les autres agriculteurs avaient aussi des épouses qui travaillaient, et que cela ne venait dans leur cas pas remettre en question leur droit à des terres. J’avais trouvé ça terriblement injuste.

Aussi, pendant très longtemps, une coopérative agricole envoyait les lettres et les factures à mon mari. Je ne sais pas pourquoi, ils avaient fait le compte à son nom. Un jour, je suis allée leur dire que c’était moi la cheffe d’exploitation et qu’il fallait mettre le tout à mon nom. Ils m’ont demandé pourquoi et j’ai dû répéter que c’était moi la cheffe. Je leur ai demandé si les courriers des hommes étaient envoyés à leur femme, et ils ont bien dû me répondre que non. Du coup, ils envoient depuis le courrier à mon nom, mais toujours avec écrit « Monsieur ». Ils n’ont jamais changé pour « Madame ».  

Manon : Est-ce que vous êtes féministe ?

Sylvie : On m’a posé la question plusieurs fois. Cela dépend de ce qu’on entend par féministe. Si être féministe veut dire faire tout ce que je peux pour que les femmes puissent accéder aux mêmes droits que les hommes, alors oui, je suis féministe. Mais je ne suis pas une militante extrême. J’ai été militante dans le cadre de l’agriculture, dans le cadre du syndicat paysan. J’ai aussi fait des manifestations pour la grève des femmes*. Je ne me considère pas comme quelqu’un d’extrême. S’il y a une manifestation, j’y vais volontiers. C’est une forme de militantisme, mais pas extrême selon moi.

Je travaille volontiers avec des hommes. Je l’ai toujours fait. Je trouve que les hommes sont très ouverts. Enfin, la plupart le sont. Et puis, les choses vont lentement, il ne faut pas les brusquer. Au mois de novembre, il y a la journée Futur en tous genres. Les parents sont invités à présenter leur métier à leurs enfants durant une journée. Je collabore dans ce cadre avec le Bureau de l’égalité homme-femme et de la famille (BEF), et nous proposons à des jeunes filles de passer une journée avec une cheffe, que ce soit en politique, dans le monde de l’économie ou même des institutions, par exemple. Je vais accueillir des jeunes filles, nous allons passer la journée ensemble et je leur présenterai mes fonctions.  

Le problème que je constate souvent est que les femmes ont une tendance récurrente à dire qu’elles ne sont pas capables. On estime toujours que quelque chose nous manque, qu’on n’est pas assez bonnes en allemand ou autres. Pour ma part, je n’ai pas fait l’Université. Et alors ? Il y a beaucoup de gens qui ne sont pas universitaires et je les représente aussi. Il faut arrêter de dire qu’on n’est pas capables. On a toutes nos compétences propres.

Prenons l’agriculture. Le modèle de réussite de ce métier n’a pas été développé par des femmes, mais par des hommes. Et les critères des hommes, ce ne sont pas les nôtres. Par exemple, avoir le plus gros tracteur du village, cela ne s’inscrit pas dans nos critères de réussite. Avoir le plus gros domaine et s’éreinter dans le travail en oubliant sa famille, ce n’est pas dans nos critères. Je pense qu’on a davantage tendance à viser la prospérité sans la croissance, parce que la croissance est mortifère. Elle tue les collègues paysans, elle tue la vie du village, elle tue les ressources. Je discute avec d’autres femmes agricultrices actives dans d’autres cantons et c’est un sentiment que l’on partage. Nous, ce qu’on veut, c’est que dans notre ferme, tout le monde soit heureux, tout le monde soit bien. La famille, les animaux, les ressources. Que tout le monde ait sa place, à la fois les plus anciens comme les plus jeunes. Ça, c’est notre deuxième critère de réussite : que tout le monde soit avec nous, que tout le monde œuvre ensemble. Dans les formations agricoles, ce n’est pas le modèle qu’on nous apprend.

Manon : Et en politique?

Je dirais que c’est pareil. Le système politique a été fait par des hommes. Je ne suis pas sûre qu’on (les femmes) ferait la même chose. On se retrouve à devoir s’insérer dans un système qui préexiste. On a alors deux options : soit on essaie de faire évoluer ce système pour qu’il nous corresponde davantage, soit on essaie de fonctionner comme un homme. Moi, je n’avais pas envie de me battre pour manger les terres des voisins. J’avais déjà du boulot par-dessus la tête avec le petit domaine que j’avais et je ne voyais pas d’intérêt à grandir, à avoir toujours plus.

Manon : Vous parliez des journées avec les jeunes. Vous avez vous-même formé six apprentis agriculteurs et êtes experte aux examens de CFC agricole à Grangeneuve. La transmission fait donc partie de votre parcours. Quels sont les modèles qui vous ont inspiré ou qui vous inspirent encore aujourd’hui ?

Sylvie : Je dirais que les personnes qui m’ont le plus inspirée, ce sont mes six apprentis. Chacune et chacun venait d’horizons très différents. J’ai eu une première apprentie âgée de 35 ans, lesbienne, mariée à une femme, avec qui j’ai beaucoup appris. Elle m’a confié beaucoup de choses sur sa vie, et sur la vie de la population émigrée espagnole. C’était très enrichissant. J’ai ensuite eu un apprenti qui faisait de la lutte suisse et qui m’a beaucoup appris sur ce milieu de grande compétition. J’ai également eu un apprenti érythréen, avec lequel nous avons fait pousser du teff, la céréale emblématique de son pays. Nous étions tous très heureux que ça marche ! Nous avons dû racheter des faucilles pour le cultiver à l’érythréenne – c’est-à-dire à la main, dans ce cas. C’est la plus petite céréale cultivée au monde, des graines minuscules qui font vivre toute une population. Parce que, c’est certes petit, mais très nourrissant. Et puis, j’ai eu un apprenti qui rencontrait des difficultés scolaires, pour lequel j’ai collaboré avec des maîtres socioprofessionnels.

J’ai trouvé toutes ces rencontres et expériences si enrichissantes. Cela m’a énormément appris sur mon propre métier d’agricultrice, c’est magnifique.

Manon : J’ai été très touchée par l’allocution que vous avez faite lors de la Pride de Bulle le 25 juin dernier. J’ai notamment retenu une phrase que je trouve particulièrement importante: « Je ne comprends pas, j’ai peur, donc je fuis. Il faut transformer cela en je ne comprends pas, j’ai peur, donc je m’informe. »

Je voulais savoir comment vous pensez concrétiser cet appel à s’informer et à se responsabiliser plutôt que d’entrer en résistance par la peur. Est-ce que le programme de législature – sorti il y a quelques semaines – va dans ce sens ? Si oui, comment ?

Sylvie : Il y a encore une semaine, je n’aurais pas pu vous répondre. J’ai depuis passé un moment avec l’ancien conseiller d’État bernois Vert Bernhard Pulver, qui a occupé la même direction que moi dans le canton de Berne pendant douze ans. C’est un homme brillant, vraiment fantastique, très apprécié dans son canton. Il était assis à la même place que vous mardi passé. Nous avons notamment discuté du monde de l’enseignement, souvent sous le feu des critiques. Il est d’avis qu’il ne faut pas attendre qu’on vienne nous dire ce qui ne va pas, mais qu’il faut aller chercher l’information. Il faut anticiper le manque d’informations. Selon lui – et je le rejoins sur ce point – 50 % de la réussite, c’est de communiquer.

Pouvoir répéter 1000 fois la même chose est une réelle opportunité. Il faut communiquer sur tous les tons et par tous les moyens. Et surtout, je pense qu’il faut communiquer le positif, ce qui se fait de bien, ce qui fonctionne. Quand des difficultés sont mises au jour, par les syndicats, par les médias, par les personnes elles-mêmes, mon rôle est de rencontrer celles qui ont des difficultés, de les entendre pour qu’elles puissent déposer ce qu’il faut, puis chercher ensemble des solutions. Et de mettre tout à la fois en lumière tout ce qui se passe bien.

Manon : J’ai une dernière question, que je pose à chaque fois que je fais une interview. Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter pour la suite ?

Sylvie : De garder la flamme malgré les écueils.


Savoir repérer les opportunités, répondre par le coeur, suivre les virages de la vie avec confiance et intégrité. Reconnaitre la portée du travail d’équipe, incarner pleinement la solidarité et l’apprentissage mutuel. Se montrer curieuse des autres, aller à leur rencontre sans fard. Ce sont autant de repères que j’emporte avec moi suite à cette très belle rencontre. Sylvie Bonvin-Sansonnens montre au travers de son parcours et aussi de sa posture dans l’existence qu’une vie en compte souvent plusieurs, et que la passion et le désir d’apprendre nous mènent toujours à notre juste place, sans rien figer. Merci, Madame la Conseillère d’État, de porter de si lumineuses valeurs et de les transmettre avec foi. C’est précisément pour ce genre de rencontres que j’ai démarré ce blog et c’est cela qui alimente ma flamme. Longue et trépidante continuation à vous!

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